Je viens de me rendre compte : cela fait exactement trois ans que je n'ai pas publié sur ce blog...
D'autres projets ont pris le pas sur son évolution, et visiblement je ne suis pas près de me reposer.
Ainsi ce blog reste à l'arrêt, mais ses 318 chroniques donneront de belles pistes à ceux qui veulent se plonger dans les musiques progressives.
Bonne lecture.
Exil Progressif
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samedi 15 juillet 2017
mercredi 16 juillet 2014
Brian ENO Apollo: Atmospheres & Soundtracks (1983)
Space ambient (Angleterre)
Apollo est un disque qui me trouble à plus d’un titre. Déjà, c’est le premier album de Brian Eno que j’ai écouté. Je devais avoir 15 ou 16 ans. Cela me rappelle mes premiers emprunts à la discothèque du quartier, mes premiers pas pour me constituer une culture musicale contemporaine. Mais le contenu est également fascinant. Si sa musique a su pénétrer les aéroports, se fondre dans les topos, elle se met à la conquête de l’espace. Ainsi, l’artiste aborde un nouveau concept musical, que j’appellerai, peut-être maladroitement, le space ambient.
J’avoue être fasciné par l’espace, sans pour autant développer à ce jour une grande connaissance à son sujet. Mais métaphysiquement, scientifiquement, et esthétiquement, le contexte spatial donne à penser. En fait Apollo sert de B.O. au documentaire For All Mankind (d’abord appelé Apollo) réalisé par Al Reinert, retraçant l’histoire saisissante des premiers pas sur la lune. Plus exactement, tous les morceaux d’Apollo ne sont pas dans le film, et toutes les musiques du film ne sont pas dans Apollo. Quoi qu’il en soit, le docu se montre tout à fait intrigant, pour sa rétrospective historique et son dépaysement planétaire, vraiment saisissants.
Certaines compositions sont parfois inquiétantes mais offrant une certaine beauté, comme un trésor merveilleux que l’on découvre… sur une autre planète mystérieuse, dont on ne connaît pas encore les secrets. Je pense ici aux excellents ‘Under Stars’ I & II, à ‘The Secret Place’, sans oublier l’immense ‘Stars’ venant terminer le disque. Un titre comme ‘Matta’ devient quant à lui presque « descriptif », contextuel, retraçant l’ambiance lunaire, sans pour autant faire émerger une mélodie ou des harmonies précises.
D’autres plages se montrent véritablement lumineuse, comme ‘Drift’, ‘Deep Blue Day’ (que le film Trainspotting s’appropriera également) et le chef d’œuvre ‘An Ending (Ascent)’, irradiant le disque de son intensité et de sa magie. Une illumination musicale, une pluie d’étoiles. On retrouve également ce morceau dans le très beau film Traffic.
Outre ce contraste ténèbre/lumière, certains morceaux viennent apporter une tonalité autre. Je pense à ‘Silver Morning’, sonnant comme une pop relax et « spatiale », quasi Floydienne, tranchant avec tous les autres titres de l’album, de façon assez étrange. La légèreté de ‘Weightless’ et d’‘Always Returning’ va également dans ce sens.
On se demande parfois s’ils ne mettent pas en danger l’homogénéité de l’ensemble… mais je suis content que ces compos se soient immiscées dans ce disque, offrant un nouvel angle d’attaque pour évoquer l’univers céleste. De plus, le documentaire nous aide à mieux comprendre leur sens : ‘Silver Morning’ survient à un moment plus jovial et amusant ; ‘Always Returning’ revient comme un leitmotiv pour représenter notre planète bleue attachante, notre « chez nous ».
Pour ses différentes facettes, comme pour ses zones d’ombre, Apollo a beaucoup à partager. Il prône à la fois la dimension lugubre du dark ambient et la composante « topographique », ici dans l’espace. Il n’est donc pas si loin d’un On Land. Parfaitement maîtrisé sur le plan musical, et donc très évocateur sur le plan conceptuel, il reste un disque assez fort, aussi bien subjectivement qu’objectivement. Des moments magiques, faisant surgir en nous des tas de questions sans réponses, comme un trouble métaphysique un peu angoissant. Ce dernier n’en demeure pas moins lié à une véritable contemplation, révélant une rare beauté.
Note : 6/6
mardi 15 juillet 2014
Brian ENO Ambient 4: On Land (1982)
Dark ambient (Angleterre)
On Land est le quatrième et dernier volume de la série Ambient de Brian Eno. Pour son côté beaucoup plus sombre, cet album fait partie de ceux qui ont façonné le genre dark ambient. Une des facettes de l’art d’Eno, et un caractère musical différent de ce que l’on a pu entendre précédemment, ouvrant un nouveau monde, dense et complexe. Un monde fondamentalement « autre », parfois hostile, composé de sons et d’éléments très différents entrant en communion.
La musique d’On Land se montre plus minérale et organique que d’habitude (‘Tal Coat’), voire plus naturaliste (‘Unfamiliar Wind’), même si elle synthétise, en plus de la composante ambient, certaines directions entreprises sur les précédents albums : la dimension topographique (‘Lizard Point’, ‘Dunwich Beach, Autumn, 1960’), ou l’influence world/ethno comme sur Possible Music avec Jon Hassell (‘Shadow’ et ses textures de trompette). Notons qu’Eno trouva au Ghana son inspiration pour On Land.
Les principaux cols du disque seront à mon sens l’excellent ‘The Lost Day’, symbole de ce dark ambient très précis, mais également les deux derniers morceaux : ‘The Clearing’, et ‘Dunwich Beach, Autumn, 1960’, pour leurs ambiances particulièrement évocatrices. Mais c’est tout l’ensemble, cohérent, qui permet une réelle immersion en profondeur.
On Land est bien la musique du topos, la musique de la pénombre et des secrets d'un certain monde, sa pulsation, son essence, ses soubassements. Tout le disque reste homogène, les grappes de sons enregistrés formant un ensemble très cohérent, et qui fait sens. Le disque le plus sombre de l’artiste jusqu’alors, peignant un environnement figuratif, et contant en musique l’érosion du temps et des espaces.
Note : 5,5/6
dimanche 13 juillet 2014
Brian ENO & Harold BUDD Ambient 2: The Plateaux of Mirror (1980)
Ambient (Angleterre/États-Unis)
On aurait vraiment tort de penser que la musique ambiante « c’est toujours la même chose » et que cela ne sert que de « fond sonore », sans réelle profondeur. The Plateaux of Mirror, le deuxième volume des Ambient prouve le contraire. Il nous offre ici de la véritable poésie. Les improvisations de piano cristallin d’Harold Budd sont à l’honneur, créées à partir de sons traités par Eno et mises en valeur par son travail de production.
On retrouve au niveau de la pochette un extrait de carte, marque de fabrique des 4 volumes de la série Ambient. La musique devient topographique, dessinant les contours d’un nouvel univers vers lequel nous nous évadons. Un monde illustré par une musique aux allures romantiques, pourtant exécutées avec la précision d’une « science » de la production sonore.
La musique de ces plateaux inexplorés est proprement subjuguante, se mêlant à divers éléments. Elle semble avoir un lien avec le temps (celui de la méditation, des souvenirs notamment) dans laquelle elle se dilue, mais également avec l’espace, dans lequel elle s’installe. Elle génère en nous des images mentales et converse avec le silence, dont elle atteint la pureté. Enfin, elle semble entretenir une relation étroite avec la lumière, qui « transparaît » de façon magique dans cette œuvre (et dans presque tous les moments offerts par la série Ambient).
Liens avec le temps, l’espace, la lumière, l’image, le silence… On pourrait ajouter que la musique ambiante s’apparente à un parfum, embaumant un espace, et s’incrustant dans le temps. The Plateaux of Mirror se déroule de cette façon, loin de la brutalité de la modernité, et de l’accélération de notre quotidien. Un moment de fragilité et de douceur, nous enveloppant dans son éternité.
Note : 5,5/6
samedi 12 juillet 2014
Brian ENO Music for Films (1978)
Ambient / B.O. imaginaire (Angleterre)
Music for Films, compilation de titres composés entre 75 et 78, est une autre façon de penser la musique ambiante. Ce coup-ci, elle se met au service de films dits… « imaginaires ». Mais le projet d’origine était aussi de mettre à disposition des morceaux pouvant agrémenter des œuvres cinématographiques. Et certaines compositions furent utilisées pour des films réalisés.
Globalement, les morceaux sont plus courts qu’à l’accoutumé et présentent un éventail de sons (et de sentiments) un peu plus varié. De plus, l’aspect « compilation » est particulièrement prégnant aux premiers abords. Du coup, le côté hétérogène rend l’écoute un peu déroutante, et on n’a plus de mal à s’orienter au sein de l’œuvre. Enfin, le disque passe relativement vite, son contenu devenant parfois curieusement assez transparent.
Mais si le disque figure parmi les moins percutants d’Eno à cette période, il n’en contient pas moins quelques titres intéressants comme par exemple le méditatif ‘From the Same Hill’, le mélancolique ‘Slow Water’, le plus inquiétant ‘Alternative 3’, ou l’excellent ‘Events in Dense Fog’, dans l’esprit d’un Before and After Science. Je note aussi ‘Final Sunset’, qui termine le disque avec une tonalité plus sombre, presque menaçante et sépulcrale.
Le niveau d’ensemble de Music for Films est très correct, l’œuvre allant même jusqu’à donner quelques idées de films, s’il on y réfléchit bien. Certes elle n’a pas l’envergure d’un Music for Airports, mais sa musique s’axe toujours sur le rêve, la méditation, l’évasion de façon modeste mais brillante. Et finalement c’est peut-être la musique destinée aux films qui se fond le mieux avec le concept de musiques ambiante et d’ameublement. Devenant un peu la bande originale sonore du film de votre vie.
Note : 4/6
vendredi 11 juillet 2014
ENO MOEBIUS ROEDELIUS After the Heat (1978)
Ambient, Krautrock, Électronique (Angleterre/Allemagne)
After the Heat est le fruit de la collaboration entre Brian Eno et les membres du groupe de krautrock Cluster : Dieter Moebius et Hans-Joachim Roedelius, sans oublier l’un des producteurs émérites du genre, Conrad Plank. Après un premier album né de cette association (Cluster & Eno, 1977), After the Heat regroupe des compositions beaucoup plus axées sur le style d’Eno. On se sent davantage immergé dans un monde ambient que kraut, dans lequel la voix d’Eno s’invite parfois.
Les morceaux de l’opus sont en général assez « courts » (4 minutes en moyenne), tranchant avec les longues plages atmosphériques que Brian Eno commence à ourdir cette année pour sa carrière « solo ». On retrouve ainsi une dynamique de pop minimaliste, lunaire et mélancolique. Elle garde néanmoins une dimension fortement expérimentale, tressant un univers imprégné de sons synthétiques rétro-futuristes. L’expertise krautrock de Cluster se met au service des vues artistiques d’Eno, tel un nouvel éclairage.
After the Heat demeure une œuvre intrigante et féconde présentant des titres particulièrement personnels comme l’excellent ‘Base & Apex’ et ‘The Belldog’, les meilleurs morceaux du disque à mon sens, les plus accrocheurs, et les plus complets et équilibrés en termes d’atmosphères et d’efficacité. Si l’on peut regretter que l’album peine parfois à se déployer complètement, il reste une œuvre visionnaire et de grande qualité, mélange subtil de science et d’émotions, d’aventures expérimentales et de pop ambiante.
Note : 4,5/6
jeudi 12 juin 2014
Brian ENO Ambient 1: Music for Airports (1978)
Ambient (Angleterre)
Les aéroports ont toujours été pour moi des endroits particuliers et symboliques, des mondes à part un peu magiques, voire métaphysiques. Je m’y sens toujours bien. Et ces images de départs et d’arrivées, comme ces trajets, ces idées de voyages qui s’entrecroisent, résonnent de façon positive en moi.
Du coup, ce premier volume de musique ambiante sobrement appelée Music for Airports garde une tonalité bien spécifique. À l’origine, Brian Eno avait décidé de composer la musique de ce disque pour la diffuser en boucle dans les aéroports. Cela permettait aux gens de s’y sentir mieux, apaisés et loin du stress qui, selon lui, peut parfois émaner de ces lieux. Étrange et agréable destin pour une musique…
Dans l’esprit de Discreet Music, mais dans un contexte différent, Music for Airports présente à la fois un caractère ambient et une dynamique « générative ». La musique de l’album se découpe en quatre phases, durant entre 9 et 17 minutes environ, entrecoupées de longues secondes de silence :
-Très minimaliste, fragile et lumineuse, la première plage est une merveille. 17 minutes de contemplation, déployant toute leur magie céleste. Des notes de deux pianos s’égrènent et s’entrechoquent de façon délicate, avec lenteur et douceur. Ce titre co-écrit avec Robert Wyatt et Rhett Davies figure comme le symbole de l’opus, magique et onirique.
-La seconde plage est une succession de nappes de voix synthétiques, tel le mouvement de vagues sonores, apparaissant puis se dérobant dans le silence. Le morceau est plus académique que le précédent, mais permet un contraste et une variété intéressants, chaque flux et reflux semblant renaître sans cesse sous un jour nouveau.
-La troisième plage reprend les principes des deux premières en mêlant les types de sons que l’on pouvait y rencontrer : les notes cristallines de piano, et les nappes atmosphériques/vocales. Elle ressemble ainsi à une fusion des deux concepts des précédentes « compositions ».
-La quatrième et dernière plage est une réussite, propice à l’évasion par la méditation. S’il n’est pas le morceau qui tirera forcément son épingle du jeu à la première écoute, on apprend progressivement à le savourer intensément. Il se révèle indispensable à l’ensemble, apparaissant peut-être comme le titre le plus important au final.
Ces « musiques d’aéroport » sont attachantes, nous accompagnant dans ces terminaux souvent immenses voire infinis, ces intersections de nos parcours, ces salles d’attente de nos vies. Music for Airports ressemble à une nouvelle vision du temps musical, en suspension. L’occasion pour Brian Eno de bousculer un peu plus la définition de l’art. Dans Music for Airports, le beau rejoint l’utile, pour devenir l’agréable. Et toucher au sublime.
Note : 6/6
mardi 10 juin 2014
Brian ENO Before and After Science (1977)
Pop expérimentale / Avant-garde / Ambient (Angleterre)
Avec Before and After Science, Brian Eno configure un nouvel espace sonore. Mais contrairement à son prédécesseur, il va revenir davantage vers le format chanson, entretenant une dimension pop plus marquée… Une pop futuriste et alambiquée, ne délaissant en rien le travail sur le son et l’apparition de plages atmosphériques particulièrement réussies. Ainsi, Before and After Science est pour moi le disque le plus équilibré, profond et représentatif de l’artiste.
La face A s’oriente principalement vers une new wave tourmentée et agile, matinée d’une production froide et plastique. ‘No One Receiving’, ‘Backwater’, ‘Kurt’s Rejoinder’ & ‘King’s Lead Hat’… les morceaux sont rythmés et agités, parfois légèrement funky, avec toujours ces manœuvres en studio pour les faire venir d’un autre monde. Ces titres mettent également en scène des figures de la scène art rock et prog, sur lesquelles Brian Eno s’appuie avec intelligence : Phil Manzanera, Robert Fripp, Percy Jones, Phil Collins, Jaki Liebezeit… L’album gagne ainsi en envergure et en aura.
Brian Eno glisse aussi des morceaux plus doux comme ‘Here He Comes’ et ‘By this River’, qui sera la musique de La chambre du fils de Nanni Moretti. Pour ce dernier, il profite d’une collaboration avec Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius, de Cluster. Ces morceaux permettent une pause, situés entre deux sources d’intensité : les morceaux turbulents d’une part, et les compositions ambient d’autre part. Le pont est assez bien réalisé avec un morceau comme ‘Julie with…’, comportant des éléments de chaque monde.
Le caractère atmosphérique prend clairement le dessus au fil du disque, avec notamment la fin de la face B (on peut aussi ajouter ‘Energy Fools the Magician’ de la face A). Je pense en effet à ces deux réussites majeures d’Eno : le panorama de ‘Through Hollow Lands’, et ‘Spider and I’, chanson au climat particulièrement marquant. Des paysages désolés du premier laisse place au second, morceau propice à la méditation, tournée vers le futur de façon presque métaphysique. L’appel d’un autre monde, encore une fois…
Visionnaire, la pop hybride d’Eno atteint son apogée avec Before and After Science. La qualité des morceaux, diversifiés et recherchés, est sans faille. Les compositions s’ouvrent sur un monde personnel mais universel, beau et poignant. Et c’est précisément ces éléments qui font de Before and After Science un témoignage réaliste des seventies, et l’un de mes disques préférés dans l’histoire du rock.
Note : 6/6
lundi 9 juin 2014
Brian ENO Discreet Music (1975)
Avant-garde / Baroque ambient (Angleterre)
Réalisé la même année qu’Another Green World, Discreet Music est un pas décisif supplémentaire dans le monde atmosphérique. Il s’agit même cette fois-ci d’une immersion intégrale. L’album se divise en deux grands moments : une longue composition de 30 minutes ; et trois travaux de variations à partir du Canon en Ré Majeur de Johann Pachelbel. Pour voir clair dans ce disque, il convient de parler de ses deux caractéristiques majeures : il s’agit de musique ambiante et générative.
1. Musique ambiante. Discreet Music se place un peu dans l’esprit de la musique d’ameublement d’Erik Satie qui, selon son concepteur, pourrait naturellement « se mêler aux sons des couteaux et des fourchettes au dîner ». En 1975, l’année de sortie de Discreet Music, Brian Eno eut un accident, mais également une révélation. Alité à l’hôpital, il lui était impossible de monter le son pour écouter un disque apporté par un ami. Ainsi il découvrit une nouvelle façon d’appréhender la musique, diffusée à un volume anormalement bas. Celle-ci devenait une partie de l’ambiance générale, comme la lumière de la pièce ou d’autres sons.
Une autre façon d’écouter ou d’entendre une musique certes (Eno conseille même d’écouter Discreet Music à faible volume), mais aussi une autre manière de la juger, notamment dans l’optique d’une chronique. Il est parfois amusant de trouver quelque chose d’autre à faire pour que la musique fusionne avec l’environnement, et qu’elle ne soit pas l’objet numéro un de son attention. Il est également intéressant d’observer comment se dévoile l’ensemble « espace + musique » quand on entre dans la pièce où elle est jouée.
2. Musique générative. Des séquences sont créées et répétées en boucle par un système autonome. Elles sont modifiées, altérées par un programme initial et ne demeurent donc jamais vraiment les mêmes… Du coup, comme Eno l’évoque, il devient à la fois le programmateur et l’auditeur, mais sans passer véritablement par les moments de création et d’interprétation. C’est en tout cas le processus qu’il choisit pour la longue pièce Discreet Music.
Le principe est analogue pour les variations sur l’œuvre de Pachelbel. Ici, Brian Eno n’a pas fait appel à un système, à une machine, mais à un ensemble de musiciens. Il leur a fait part d’un certain nombre d’instructions, prenant ici la place du programme de la machine. Les intervenants sont en effet invités à procéder à des modulations, des torsions de tempo à partir de courtes séquences appartenant au morceau de Pachelbel.
Conclusion. Les deux caractéristiques (ambiante et générative) sont liées. En effet, créer une musique à partir d’un système autonome, comme le fait Brian Eno, empêche ici la surprise, l’imprévisible. Ainsi, comme Eno le souligne au sein du cd, il s’agit d’une musique qui peut être à la fois écoutée et ignorée. On retrouve donc le lien entre la dimension générative (le moyen) et la musique ambiante qui en découle (la fin).
Au niveau du résultat, même si j’ai été étonné de certains retours négatifs concernant les variations sur Pachelbel, j’ai tendance à trouver que l’ensemble est une franche réussite, aussi bien pour sa première partie que pour la seconde (notamment pour la profondeur de ‘Fullness of Wind’, la première variation). À la fois visionnaire et généreux musicalement, Discreet Music se fait une place parmi les plus grandes œuvres expérimentales de son époque, de son moment.
Note : 5/6
N.B. 1 : sorti la même année, Evening Star (avec Robert Fripp) contient ‘Wind on Wind’, un extrait du titre ‘Discreet Music’.
N.B. 2 : c’est le premier album solo de Brian Eno qui n’est pas seulement appelé « Eno ».
dimanche 8 juin 2014
Brian ENO Another Green World (1975)
Pop expérimentale / Ambient (Angleterre)
Brian Eno, peintre sonore, ouvre un nouvel espace : celui d’Another Green Land. Si le format pop est respecté par moments, deux éléments fondamentaux vont marquer cette œuvre majeure de la discographie de l’artiste : un travail encore plus poussé sur les textures de sons ; et la création de morceaux ambiants façonnant une nouvelle géographie auditive, une topographie musicale inédite. C’est également l’occasion de mettre une nouvelle fois à profit les fameuses cartes d’Eno, les Oblique Strategies.
Si les manières des deux premiers albums sont évacuées, Brian Eno montre toujours autant sa volonté de traiter les sons, et de transformer le studio en un véritable instrument à part entière. Son ambition se dévoile sous un jour nouveau, avec un disque incroyablement moderne, qui ne vieillira jamais. Le disque devient également très personnel, unique, façonnant la marque de fabrique de Brian Eno. Certes, il parvient encore une fois à s’entourer de la meilleure façon qui soit (Robert Fripp, John Cale & Phil Collins), mais ces artistes sont avant tout des guests ; le vrai démiurge de l’opus, c’est bien lui.
Parmi les meilleurs morceaux du disque, je pense immédiatement à ‘The Big Ship’, une de mes compositions favorites. Absolument hypnotique, poignant et épique, marquant toute la maîtrise d’Eno. Merveilleux. Je pense aussi au malicieux ‘St. Elmo’s Fire’, mais les créatures atmosphériques comme ‘Little Fishes’, ‘Zawinul/Lava’, ‘Becalmed’ ou ‘Spirits Drifting’ me charment plus encore. Certains titres m’intéresse moins, notamment ‘I’ll Come Running’ que je trouve très moyen.
Laboratoire musical, Another Green Land est l’un des principaux cols de la discographie de Brian Eno, préparant le terrain à l’hybride pop futuriste / musique ambiante que sera Before & After Science. Il jouit d’une grande réputation, et s’il contient un de mes morceaux favoris, je trouve que l’ensemble peine parfois à trouver son véritable envol. Pas tout à fait le chef d’œuvre attendu, il reste néanmoins incontournable pour ses avancées musicales, la présence de morceaux majeurs, ses éléments d’ambiance, et sa jeunesse éternelle.
Note : 5/6
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