Avant-garde / Baroque ambient (Angleterre)
Réalisé la même année qu’Another Green World, Discreet Music est un pas décisif supplémentaire dans le monde atmosphérique. Il s’agit même cette fois-ci d’une immersion intégrale. L’album se divise en deux grands moments : une longue composition de 30 minutes ; et trois travaux de variations à partir du Canon en Ré Majeur de Johann Pachelbel. Pour voir clair dans ce disque, il convient de parler de ses deux caractéristiques majeures : il s’agit de musique ambiante et générative.
1. Musique ambiante. Discreet Music se place un peu dans l’esprit de la musique d’ameublement d’Erik Satie qui, selon son concepteur, pourrait naturellement « se mêler aux sons des couteaux et des fourchettes au dîner ». En 1975, l’année de sortie de Discreet Music, Brian Eno eut un accident, mais également une révélation. Alité à l’hôpital, il lui était impossible de monter le son pour écouter un disque apporté par un ami. Ainsi il découvrit une nouvelle façon d’appréhender la musique, diffusée à un volume anormalement bas. Celle-ci devenait une partie de l’ambiance générale, comme la lumière de la pièce ou d’autres sons.
Une autre façon d’écouter ou d’entendre une musique certes (Eno conseille même d’écouter Discreet Music à faible volume), mais aussi une autre manière de la juger, notamment dans l’optique d’une chronique. Il est parfois amusant de trouver quelque chose d’autre à faire pour que la musique fusionne avec l’environnement, et qu’elle ne soit pas l’objet numéro un de son attention. Il est également intéressant d’observer comment se dévoile l’ensemble « espace + musique » quand on entre dans la pièce où elle est jouée.
2. Musique générative. Des séquences sont créées et répétées en boucle par un système autonome. Elles sont modifiées, altérées par un programme initial et ne demeurent donc jamais vraiment les mêmes… Du coup, comme Eno l’évoque, il devient à la fois le programmateur et l’auditeur, mais sans passer véritablement par les moments de création et d’interprétation. C’est en tout cas le processus qu’il choisit pour la longue pièce Discreet Music.
Le principe est analogue pour les variations sur l’œuvre de Pachelbel. Ici, Brian Eno n’a pas fait appel à un système, à une machine, mais à un ensemble de musiciens. Il leur a fait part d’un certain nombre d’instructions, prenant ici la place du programme de la machine. Les intervenants sont en effet invités à procéder à des modulations, des torsions de tempo à partir de courtes séquences appartenant au morceau de Pachelbel.
Conclusion. Les deux caractéristiques (ambiante et générative) sont liées. En effet, créer une musique à partir d’un système autonome, comme le fait Brian Eno, empêche ici la surprise, l’imprévisible. Ainsi, comme Eno le souligne au sein du cd, il s’agit d’une musique qui peut être à la fois écoutée et ignorée. On retrouve donc le lien entre la dimension générative (le moyen) et la musique ambiante qui en découle (la fin).
Au niveau du résultat, même si j’ai été étonné de certains retours négatifs concernant les variations sur Pachelbel, j’ai tendance à trouver que l’ensemble est une franche réussite, aussi bien pour sa première partie que pour la seconde (notamment pour la profondeur de ‘Fullness of Wind’, la première variation). À la fois visionnaire et généreux musicalement, Discreet Music se fait une place parmi les plus grandes œuvres expérimentales de son époque, de son moment.
Note : 5/6
N.B. 1 : sorti la même année, Evening Star (avec Robert Fripp) contient ‘Wind on Wind’, un extrait du titre ‘Discreet Music’.
N.B. 2 : c’est le premier album solo de Brian Eno qui n’est pas seulement appelé « Eno ».
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