mercredi 7 janvier 2009

Julian COPE Krautrocksampler (1995)

Julian Cope - Krautrocksampler
Livre (UK)


Un compte rendu sur le livre de Julian Cope, Krautrocksampler... Au travers d’une relation très personnelle, l’auteur présente un des courants artistiques importants permettant de cerner le sens de la modernité dans l’univers musical du XX° siècle.

Le krautrock est le rock psychédélique et progressif allemand qui a émergé à la fin des sixties avant de se développer dans les seventies. Le terme vient d’un morceau d’Amon Düül et a été repris par la presse anglaise (1968), alors que le terme allemand est kosmische Musik (la paternité du terme revient à Edgar Froese de Tangerine Dream, 1971). Le krautrock reste un des événements (j’insiste) les plus importants dans l’histoire du rock et là, pour le coup, ce sont les Allemands qui tiennent la dragée haute en matière de créativité artistique. Mais une créativité « cosmique ». Si l’on connaissait la scène progressive anglaise (King Crimson, Yes, Genesis, …), voire italienne (Banco del mutuo soccorso, PFM, Le orme, Semiramis, Maxophone, …), on ne pouvait nier l’originalité des productions musicales allemandes de cette période.

Dès l’introduction, Cope ajoute quelque chose d’essentiel : l’histoire (vécue ou transmise) atteint directement des mélomanes et imprègne certains mouvements musicaux. Ici, le krautrock est un peu un contre-pied au vécu de la Seconde Guerre mondiale : « Si j’avais été un jeune Allemand dans les années 1960, j’aurais fait du krautrock ou je serais mort. Je n’aurais pas pu vivre une seconde en sachant que la génération de mes parents avait été mêlée à un crime qui dépassait les pires cataclysmes » (p. 8) ; « nous nous retrouvons avec ce legs audacieux de la jeune génération allemande qui a piétiné le passé en dansant. C’est tout simplement ça, le krautrock – un aperçu éblouissant, héroïque et révélateur de l’Homme au sommet de sa Magie artistique » (p. 9). C’est intéressant ce que dit Cope car on retrouve des parallèles dans l’histoire du rock : une génération donnée crée et vit sa musique comme elle a vu ou vécu son histoire, comme elle voit la société présente et les échéances historiques futures (voir par exemple le pessimisme ambiant aux USA pendant les seventies permettant la maturation/explosion du punk et l’émergence de la new wave, deux styles d'ailleurs influencés ou légèrement prémédités par certaines œuvres kraut).

La préhistoire du style kosmische dépeinte par Cope est assez courte mais pertinente. L’auteur présente les principales influences : Stockhausen évidemment, et les Monks, le « chaînon manquant » (« Black Monk Time », 1965). Selon Cope, « pour une bonne compréhension du krautrock, il est essentiel de bien saisir cette étrange capacité des Monks à traverser différents styles musicaux à une époque où cela passait pour un crime atroce en Angleterre comme en Amérique » ; « les Monks furent capables de rassembler tous ces styles, de les assimiler et de les synthétiser non pas en dépit du fait qu’ils se trouvaient en Allemagne de l’Ouest, mais précisément parce qu’ils s’y trouvaient » (p. 15). Je dirais que, un peu comme la scène italienne, les Allemands n’ayant pas d’héritage rock particulier et originel, ils durent s’appuyer sur autre chose : le classique pour les Italiens, la musique contemporaine pour les Allemands. C’est ainsi que ces derniers allaient avoir leur propre rock and roll.

L’histoire elle-même du courant musical, esquissée par Cope, présente quelques éléments importants. L’auteur évoque brièvement les mouvements sociaux sur fond de musique cosmique, les liens entre la politique et certains musiciens allemands, l’héritage de Stokhausen, la création des labels Ohr, Pilz et Brain, la personnalité et l’influence du prophète Rolf-Ulrich Kaiser (fondateur des labels Ohr et Kosmischen Kuriere/Kosmische Musik), et l’importance des ingénieurs du son Conrad Plank et Dieter Dierks pour la musique kraut.

Puis Cope passe en revue les grandes formations kraut en leur consacrant chacun un petit chapitre (Faust, Can, Neu, Amon Düül, Tangerine Dream, Ash Ra Tempel, Cosmic Jokers). C’est l’essentiel du livre, mais je ne le détaille pas vu que je préfère mettre en valeur l’aspect général du mouvement kraut. Il est en tout cas marquant de voir combien Cope adore Neu!, le groupe kraut par excellence, et surtout Faust, pour lesquels il a une admiration sans bornes, même s’il serait incapable de les reconnaître sur des photographies. Aussi Julian Cope est un puriste, un vrai de vrai… pour lui, certains groupes sont vite devenus moins bons, alors que pour beaucoup ils tiennent encore la route (par exemple son dédain tout relatif pour Future Days de Can, Phaedra de Tangerine Dream et même le quatrième Faust !). Aussi, l’auteur a l’air complètement dans le trip kraut, donc difficile de savoir s’il a vraiment du recul. Une chose est sûre, il tient bien compte de l’événementiel : un disque est aussi un événement et le fait qu’il soit là, que sa musique apparaisse à un moment donné, et dans un espace qu’il emplit… c’est important. Je pense que le krautrock a joué là-dessus énormément, comme toute œuvre plus ou moins avant-gardiste. C’est à la fois un style qui innove, qui permet la réalisation de choses inédites, et en même temps un courant musical qui « explose » au grand jour, un truc qui va au-delà de toute rationalité. Ainsi le krautrock, c’est un mélange d’intellectualisme et de spontanéité. Enfin, Cope n’oublie pas de lier certains groupes avec le mouvement punk. On retrouve en effet des prémisses de ce courant dans le kraut.

Le défaut du livre est simple. Cope a parfois la mauvaise habitude de dénigrer d’autres groupes pour mettre plus facilement en valeur ceux qu’il chérit. Ses cibles (pas toujours les pires) : Pink Floyd, Genesis, Yes (et surtout Rick Wakeman), Henry Cow, Simple Minds, Brian Eno, Eric Clapton, Keith Emerson… Un mélange de mauvaise foi et d’humour peut-être ? Je ne sais pas… Toujours est-il qu’il n’a pas vraiment besoin d'user de ce genre de procédé tant il donne l’eau à la bouche avec ses descriptions. Bon c'est vrai, on pourrait reprocher à ces dernières d’être trop linéaires et parfois peu intéressantes quand on ne connaît pas le disque. Mais ses chroniques donnent en général une certaine motivation pour écouter ces disques et celle-ci remplace un éventuel ennui de lecture par… une frustration de ne pas avoir les albums en question…

L’ouvrage se termine sur une liste de 50 disques fondamentaux pour l’histoire du krautrock. La liste est personnelle, critiquable et non exhaustive, mais garde quand même une forme d’objectivité.

Référence : COPE Julian, Krautrocksampler, Paris, Kargo et l'éclat (traduction française d'Olivier BERTHE), 2005 (1996), 166 pages.

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