mercredi 2 août 2006

Robert WYATT Rock Bottom (1974)

Robert Wyatt - Rock Bottom
Art-Rock / Canterbury (Angleterre)


Au fond du trou, le moral à zéro. Les termes "rock bottom" ne signifient pas seulement les fonds rocheux que l’on découvre dans les profondeurs des mers, et que les deux pochettes du disque représentent plus ou moins ; "rock bottom", c’est aussi la déprime la plus totale, quand on se retrouve face à la catastrophe de sa vie. Vous l’aurez compris, le disque de Wyatt fait ressortir une certaine idée de la profondeur et le musicien va s’efforcer de dévoiler son jardin intérieur.

La catastrophe est bien survenue dans la vie de Robert Wyatt : le musicien fit une chute de quatre étages en 1973. Cet accident le mit devant l’irréparable, l’irréversible : paralysé des deux jambes, lui, le batteur acrobate… lui, le musicien venu d’un autre monde. Dès lors, la réalité de la vie lui montrait son visage le plus cruel. Insistons bien sur un point : Wyatt avait déjà commencé à travailler sur Rock Bottom avant sa chute, histoire de clarifier le contexte.

Ceci dit, Rock Bottom, c’est avant tout une synthèse d’émotions : l’espoir, la mélancolie, la sérénité… Il s’agit bien d’un mystère intérieur, et non d’un disque de croque-mort. Aussi, c’est à se demander si, justement, Wyatt n’invente pas de nouvelles tonalités de sentiments, des couleurs inédites pour la palette des émotions... Mais Rock Bottom représente également une merveilleuse synthèse de styles où les musiciens brillent sur tous les tableaux. Notons ainsi la présence des illustres Mike Oldfield, Richard Sinclair, Hugh Hopper… Robert Wyatt sait mélanger le jazz, la pop, l’expérimental pour aboutir à un opus extrêmement cohérent, parfaitement bien construit.

Wyatt nous offre ainsi les jolies mélodies de ‘The Last Straw’ et de ‘Sea Song’. Cette dernière finit d'ailleurs par nous emmener progressivement vers les Cieux, accompagnés par la voix si particulière de Wyatt, chanteur équilibriste. Autre grand moment de musique, ‘Little Red Riding Hood Hit the Road’ irradie le disque de sa beauté lumineuse, même si ‘Little Red Robin Hood Hit the Road’, sorte de long rappel en fin d’album, traîne un peu et reste en deçà des autres morceaux.

Mais le plus fondamental dans Rock Bottom se trouve dans la suite ‘Alifib’/‘Alife’. Et là que dire… Dès le départ, la respiration, l’expiration de Wyatt soutient l’intégralité d'‘Alifib’, devient sa pulsation. Si l’on écoute plus attentivement son halètement, on découvre que Wyatt murmure en fait : "Alifib"… Puis la mélodie se superpose, comme si les divers instruments avait préparé le terrain. Et soudain, ‘Alife’ fait son entrée au cours d’une transition de rêve. On a l’impression que la chanson se transforme, et qu’en même temps elle recommence, se montrant sous un autre jour. Terrifiant.

Et cela est même plus qu’une impression : le morceau semble se dérégler, les percussions s’agitent, et l’atmosphère de tension est bien mise en valeur par le jeu impressionnant de Gary Windo. Puis cette voix, cette mélodie… est-ce une prophétie, une complainte, un songe raconté de manière mystérieuse ?... personne ne le sait mais l’auditeur reste à la fois persuadé et convaincu de traverser émotionnellement un des grands moments de l’aventure rock. Avec ce classique du progressif et même de la musique du Xxème siècle, Wyatt nous a en effet fait partager une des plus belles pages de son histoire, un testament qui reste à de nombreux niveaux insurpassable.

Note : 6/6

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