vendredi 7 juillet 2006

CAN Tago Mago (1971)

Can - Tago Mago
Krautrock (Allemagne)


Tago Mago est un souffle d'inspiration. Can va devenir un fleuve où pourront s’abreuver de nombreux artistes souhaitant entrer dans le monde de l'expérimental par la grande porte. Evidemment, Tago Mago reste un OVNI, un truc unique, un truc définitif. Si les artificiers de Can sont des peintres sonores, ce disque reste en effet leur plus belle toile. Cet album n'est pas uniquement un ensemble de collages d'improvisation mais aussi un chef d'oeuvre d'impressions oniriques, où se côtoient lyrisme et érudition. Can est un groupe humain qui maîtrise les techniques d’enregistrement tout en offrant une musique psychédélique et vivante, une musique à la fois émotive, mystique et scientifique. Tago Mago nous fait découvrir le décor mutilé d'une maison en papier, fragile et aérée, dans laquelle nous entrons librement avant de nous enfoncer dans ses salles lunaires, où circulent courants d'air et vapeurs musicales. ‘Paperhouse’, une chanson presque trop normale pour du Can, un titre nostalgique, dans laquelle nous allons abandonner progressivement nos repères, nos visions personnelles de la musique... habituelle. Une première chanson, mais la dernière occasion de laisser derrière soi un monde musical trop banal. ‘Paperhouse’ est un hommage à la guitare, et la prestation du Hendrix allemand, Michael Karoli, est d’importance. Quant à ‘Mushroom’, le morceau suivant, il s’agit d’une composition calme aux premiers abords mais qui se révèle hypnotique et tendue au fil des écoutes. L'ataraxie avant la tempête. Puis c'est la porte ouverte à l'expérimental. ‘Oh Yeah’, morceau de génie. Des structures complexes, des corridors infinis, une musique éternelle. Le coup de tonnerre, la pluie. Tout se rafraîchit. La pluie transparente inonde l'immensité de ce monde infini, où la quiétude ne saura plus dompter la folie artistique de Can. Des balbutiements invertis aux guitares tordues, tout semble ne devenir qu'imbroglio et incohérence. Le morceau se divise en deux parties : une première expérimentale et inquiétante, une seconde plus mélodique. Et les deux soutenues, une fois de plus, par la pulsation de Liebezeit. Dès lors, les rythmes percutants d'‘Halleluhwah’ déboulent... Un morceau culte, le plus long du disque. Un titre visionnaire et dansant de 18 minutes. Un certain souci rythmique aussi, comme toujours… L'heure est à la débauche musicale, mais une débauche sacrée et rythmée, au service de l'art, de la créativité, de l'intégrité. Si le morceau semble ensuite s'assagir, c’est pour mieux redémarrer ensuite. Mais la folie spectrale n’a pas de limites : ‘Augmn’, titre futuriste mais atemporel, fait ensuite son entrée. Tout est ici jeu d'ambiances. Un langage musical indéchiffrable, dans lequels se meuvent des bruits obscurs et excentriques (frottements, crissements), une syntaxe distordue, une sémantique inextricable. Le langage de la respiration peut-être, celui de râles incantatoires. Puis surviennent des percussions étourdissantes, le rythme qui semblait avoir été anesthésié et absorbé pendant le reste de la composition prend à nouveau un rôle majeur. Bref, l’angoisse intégrale du début à la fin… et un des plus grands morceaux qui m’ait été donné d’entendre. Il n'y a toujours pas de repères sur ‘Peking O’, et la déroute est à son comble. Le monde n'existe plus sous nos pieds. Si le côté atmosphérique prédomine sur la première partie du morceau (échos & delay, expression d’angoisses…) et sur la dernière (rythme étrange et diffus), les instruments semblent souffrir de dérèglement chronique dans les deux sections du milieu, pendant que Suzuki débite de manière incontrôlable une forme de charabia psychotique et incompréhensible (on a même l’impression qu’il se prend un objet métallique dans la figure à un certain moment). Enfin, ‘Bring Me Coffee Or Tea’, un chouilla exotique et plus mélodique, achève l'opus de manière presque trop prudente, histoire de reprendre ses esprits. Le monde origami ferme ici ses portes. Tago Mago est un musée du son, une chambre sonore, un disque qui impose le silence et réinvente le rythme. Une oeuvre incontournable et historique qui apporta beaucoup à la culture allemande, et à son identité musicale.

Note : 6/6

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