Rock / Psychédélisme (USA)
Le deuxième album du Velvet est un des disques les plus agréables à chroniquer, même si, paradoxalement, exprimer la valeur de cet opus et les sentiments qu'on éprouve lors de son écoute n'est pas chose aisée. La rencontre de White Light/White Heat se veut une illumination analogue aux sensations abyssales que l'on pourrait éventuellement rencontrer... au pays des drogues. Traverser la musique brumeuse et nébuleuse de White Light/White Heat est une expérience très personnelle.
Ce disque à la mélancolie noire d'encre représente la nature sombre et expérimentale du groupe de Lou Reed : loin des projecteurs Warholiens et de la lumière blanche de Nico, le disque révèle secrètement la pulpe noire et la chaire terne et visqueuse du fruit que le premier album montrait a priori sous des allures jaune-provoc et faussement rose-bonbon. Un disque « essentiel », au vrai sens du terme. Et donc un disque autonome aussi, où la musique, écorchée et distordue à point nommé, est livrée aux caprices fugaces et insolents des vents et marées velvetiens. White Light/White Heat : un paysage lunaire, surréaliste et aphrodisiaque, pays perdu des petits champignons noirs hallucinogènes, vénéneux et gélatineux.
Les influences musicales érudites des musiciens (Copland, Taylor, Cage, Bo Diddley et Chuck Berry) fusionnent avec l'extase juvénile et espiègle de leurs esprits en ébullition pour laisser place à une imagination créatrice et libérée qui repoussera à nouveau les barrières de la musique rock. Le Velvet enfonce le clou, mais avec un disque complètement différent du précédent. En tête de cortège, la chanson-titre, hymne euphorisant, caustique et antalgique, la boogie-dance des cadavres sous amphétamines ; "White Light" correspond aux flashs et "White Heat" à la chaleur intense que provoque la drogue. Puis se distinguent dans la procession trois comptines morbides et funéraires : ‘The Gift’, ‘Lady Godiva's Operation’ et ‘Here She Comes Now’. Feedbacks cafardeux, larsens gris-perçants, dissonances perverses, amplifications hasardeuses, percussions hypnotiques ; les compositions stratifiées fourmillent de détails sonores.
Si ‘Here She Comes Now’ annonce le troisième album du groupe, ‘I Heard Her Call My Name’ annonce l'avant-gardisme du morceau final du disque, l'apothéose : ‘Sister Ray’, un chaos orgiaque, un morceau fondamental dans l'histoire de la musique, dans la destinée du rock (et le mot en devient presque inapproprié). ‘Sister Ray’ est un peu cette terre fertile où se chevauchent avant-gardisme minimaliste (La Monte Young) et jazz volcanique en éruption (Ornette Coleman, John Coltrane, Albert Ayler)... Il s'agit d'un jam studio apocalyptique, vertigineux et claustrophobe, où s'affrontent pendant plus de 17 minutes orgue barbare et guitare-seringue. Ce morceau correspond au système nerveux central, et accessoirement dégénéré, de la carrière du Velvet Underground. Une musique venimeuse et pachydermique, dont le texte joue sur les ambiguïtés lexicales... une rythmique de machine à vapeur, une mélodie titubante, des harmonies délabrées... Les composantes de ‘Sister Ray’ font de ce « truc » le morceau le plus excitant de l'époque.
Asphyxiante et empoisonnée, la musique du Velvet est l'exploration de chemins sinueux, la rencontre d'expérimentations aventureuses, une prophétie voilée et inaccessible. À travers ces six diamants noirs, le deuxième album du groupe nous montre de façon très certaine ce qui pouvait se passer dans la tête des aficionados du milieu underground. Ainsi, White Light/White Heat, subconscient du précédent opus, symbolise une véritable quintessence. Et la conscience obscure de toute une génération.
Note: 6/6
Découvrez The Velvet Underground!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire