samedi 20 mai 2006

THE VELVET UNDERGROUND & NICO "" (1967)

The Velvet Underground & Nico
Rock / Psychédélisme (USA)


New York. 1967. C’est dans la plus européenne des villes américaines que notre voyage psychédélique nous emmène. Beaucoup de choses ont commencé avec ce disque diabolique au rock balafré et bariolé en jaune et noir, avec cet album mort-né commercialement lors de sa sortie, mais éternel au vu de l’influence de sa musique. Ce disque antagonique, clair-obscur, montre à quel point le Velvet Underground a réussi à s'approprier les contrastes : des compositions oscillant entre simplicité momentanée de structure et délires aphrodisiaques et avant-gardistes ; des musiciens différents et pourtant complémentaires ; des textes crus jurant avec le fond culturel de l'Amérique d'époque.

De nos jours, personne n’oserait voir dans ces onze joyaux noirs une musique simpliste et sans danger. Les membres du Velvet Underground font bien partie de l'intelligentsia rock, la confrérie de l'inédit, de l'inouï, de l'incompris, celle qui ouvre des portes et propose d'autres univers. Ce premier album est en effet un de ces disques qui modifient les repères que l'on se fait de la musique, mais se présente aussi comme un instrument de torture pour les oreilles trop mainstream-isées. Le groupe opère à coeur ouvert sur le rock du moment, parfois même contaminé par un conformisme arriviste jugulant la créativité psyché qui embaumait l'air du temps. Le Velvet est un groupe folk rock étonnant mais peut-être aussi le premier groupe de musique industrielle : sa musique exprime par des sons stridents des formes d’oppressions urbaines et sociales.

Ce disque est sorti en 1967, rappelons-le. A regarder de près ce qui se fait au même moment on se rend compte que peu de disques rock arrivent à la cheville du Velvet Underground, que ce soit au niveau des innovations ou de la qualité des compositions, et pourtant Dieu sait que cette année est fondamentalement riche pour l'histoire de la musique. Dans un contexte de guerre des Buttons entre psychédélisme et pop-rock sournois mais toujours trop gentillet, le Velvet sort, sous la houlette de Warhol, un disque bricolo et intello, presque inclassable. Les règles du jeu changent et le Velvet Underground fait échec et mat à une bonne partie de ses contemporains.

Fertile, féconde, ardente et vagabonde, telle est la musique du premier album du Velvet Underground, album phantasmagorique de griserie et de débauche artistique. Le son primaire, sauvage et tribal, lié à la rogne de Reed et aux illuminations de Tucker (musicienne notamment influencée par Bo Diddley et peut-être le membre le plus velvetien du groupe) se marient avec les arrangements avant-gardistes de John Cale et la production parfois étrangement extra-terrestre (l'hybride vocal sur ‘Sunday Morning’ enfanté par Tom Wilson). De nombreux morceaux sont cependant composés à partir d'accords simples ; ‘Sunday’, ‘Heroin’, ‘Waiting for my man’ sont joués sur la quarte. Mais ne vous y fiez pas : une complexité presque perverse a fait le siège de ce disque.

Des contrastes... notamment entre les caractères des chansons. ‘Sunday Morning’, et ses gouttes cristallines de célesta est une chanson onirique, souple et retenue, nous faisant découvrir sous le charme de l'aube maléfique ce qu'est la tendresse à piquant. ‘Waiting for my Man’, et ‘Run Run Run’, aux rythmiques haletantes de machines à vapeur, sont des chansons nerveuses et tendues, ballottées par la rage insolente et le phrasé rugueux de Lou Reed. Evidemment rien ne saurait a priori associer les mélodies poudreuses de ‘I'll Be Your Mirror’ et le coma idyllique de ‘Femme Fatale’ avec tous ces instruments de tortures : guitares-seringues, violon sanglant, percussions-assommoirs que l'on rencontre sur ‘The Black Angel's Death’ ou sur cette machine déréglée qu'est ‘European Son’. Et pourtant...

Des contrastes. De la complémentarité ? A vrai dire tout s'explique par les distances entretenues entre les musiciens, à la fois différents et complémentaires. Il y a une réelle unité et complicité dans ce disque. Nico, nymphe féerique à la voix gantée de blanc, vierge aphrodisiaque immaculée comme la neige de l'héroïne, apporte sa froideur violente, et pose sa voix sur des titres à textes (‘Femme Fatale’, ‘I’ll Be your Mirror’, et ‘All Tommorow's Parties’ la favorite de Warhol). Bien qu'imposée par Warhol, elle charme Cale... elle nargue la rogne reedienne, elle suscite l'admiration de Maureen Tucker. Cale et Reed se complètent, Tucker apporte ses sonorités sèches et primitives, voire primaires, au folk de Lou, et Sterling fait son travail de fond, certes chahuté par ses confrères. Il symbolise, avec Moe Tucker, le côté anti-commercial et désintéressé de la musique velvetienne.

Mais ce premier album, Graal et classique des classiques, expose des paroles dérangées et dérangeantes liées aux problèmes les plus intimes de l'homme de la fin des 60's (bénédiction de l'héro à cette époque). Sexualité détournée (‘Venus in Fur’), drogue pure (le chef d'oeuvre de créativité ‘Heroin’ avec ses montées et descentes d'adrénaline, et ‘Waiting for my Man’), violence physique (‘There She Goes’)... Les sujets sont nombreux pour pouvoir déstabiliser l'auditeur, à moins qu’il ne s’y retrouve, finalement.

Le premier Velvet est étourdissant, frontal, hostile mais envoûtant. Oeuvre de contrastes, des jeux d'oppositions et de ressemblances, cet album terriblement moderne apporte une lumière crue et féconde dans le monde de la musique rock. Il reste pour beaucoup le disque le plus indispensable, au moins le plus impensable, que le rock n'ait jamais produit.

Note: 6/6





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