Psychédélisme/Progressif/Space Rock/Expérimental (Grande-Bretagne)
Ummagumma est un objet curieux. Il se présente comme un double album, comprenant une partie compos (chacune étant écrite par un membre du groupe) et une partie live (Birmingham et Manchester, en 1969). J’apprécie le concept, le concert étant l’occasion de célébrer parfaitement les genres expérimentaux, en rallongeant les morceaux, en les étirant, en les improvisant. La scène reste l’expression théâtrale la plus adaptée pour ce type de musique, qu’on pourrait appeler « musique-événement » ou « musique-expérience ».
.Partie live. Comme dit précédemment, le live fait honneur au Floyd. C’est bien ici que se dévoile l’essence d’un ‘Set the Controls for the Heart of the Sun’, ou qu’émerge des profondeurs un ‘Careful with That Axe, Eugene’, venu d’ailleurs... Un moment majeur, pour son atmosphère lunaire bien prenante. ‘Astronomy Domine’ et ‘A Saucerful of Secrets’ complètent évidemment ce tableau psychédélique, héritage du temps, vestige d’un instant dans cette année 1969.
.Partie compositions. J’ai bien du mal à chroniquer du live en général et je trouve plus intéressant d’évoquer les compos studios du groupe. Il est stimulant de pouvoir appréhender de façon séparée le jardin musical si singulier de chacun des musiciens du groupe. Petite précision cependant, Waters présente bien deux compos à son actif. Mis à la suite, ces morceaux restent néanmoins équivalents en longueur à ceux de Wright ou de Gilmour.
Par ailleurs, cette partie d’Ummagumma semble nous proposer une musique « réelle », également très expérimentale, jouissant au final d’un succès un peu inespéré. Plutôt rejeté par le groupe, le disque offre néanmoins certains moments sympathiques :
- ‘Sysyphus’. Le morceau conceptuel de Wright ouvre l’album. J’aime avant tout la section piano de départ, inspirée et mélodique. Malgré ses écarts un peu pompeux, ce titre épique présente par ailleurs assez bien certains pans de la personnalité artistique de Wright. Elle demeure fondamentale pour l’identité du Floyd, et en général bien sous-estimée.
- ‘Grantchester Meadows’/‘Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving with a Pict’, de Roger Waters. C’est vrai, le premier titre cité n’est pas renversant en termes de songwriting. Pourtant, mêlé à cette ambiance naturaliste et onirique, il fait montre d’une réelle efficacité, propre à l’envoûtement. Le second morceau reste quant à lui complètement expérimental avec ses boucles et ses hallucinations auditives. De ces trois premiers morceaux constituant la face A, on retient une certaine continuité dans le délire nature/animalier assez bien rendu, que ce soit par l’ambiance ou les cris de bêtes artificiels.
- ‘The Narrow Way’. Une autre pièce en plusieurs strates contrastées, écrite cette fois par Gilmour. En son cœur, la partie plus folk mélodique est très réussie, accentuant toujours plus la tonalité sombre du disque.
- ‘The Grand Vizier's Garden Party’, de Nick Mason. Peut-être un morceau un peu pénible à écouter, constitué d’expérimentations de percussions. Je note tout de même le contraste saisissant entre les notes de flûtes par la femme de Mason, et les bidouillages secs et austères de la majeure partie de la composition. Ces notes sont jouées en introduction et fin de morceau, et permettent de l’encadrer intelligemment.
De façon générale, le songwriting s’élève quand il se mêle à des ambiances, le Floyd ne se montrant pas vraiment encore comme un groupe d’écriture, ou tout du moins d’écriture classique/pop. Cela étant, certaines phases de Gilmour et de Waters à la guitare préfigurent les styles à venir. Les entendre chacun de leur côté est intrigant puisque cela montre leurs particularités, et même l’opposition, dans l’appréhension/création d’une chanson.
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Voilà, la période Pink Floyd des sixties s’achève ici et je souhaitais vraiment lui donner une place dans Exil progressif. En fait, dès Saucerful of Secrets s’amorce en réalité la seconde période du groupe, pendant laquelle quatre musiciens vont tenter de trouver l'équilibre, et continuer de tenir la barre, orphelins de Syd, capitaine esseulé. Pourtant ces trois disques ont des connexions évidentes, notamment dans leur approche du psychédélisme sixties, qu’ils ont façonné en (petite) partie, à moins qu’ils aient croulé sous son poids.
D’ailleurs, j’ai ce sentiment à la fois d’admiration curieuse et d’insatisfaction frustrante quant à ces trois disques. Le premier reste peut-être le plus abouti, le plus solide historiquement, mais je préfère parfois, et de peu, les deux suivants, même s’ils incarnent bien ce côté « inachevé » qui peut me laisser sur ma faim. Mais comprenez bien, ils ne font qu’exemplifier à merveille ce que le psychédélisme propose ou insuffle : l’ébauche surpassant le produit fini, et l’expérience auditive au-delà des notes musicales.
Ummagumma est peut-être celui des trois qui va le plus dans ce sens-là, et qui va susciter une forme de manque, qui ne gagne qu’à être comblé par notre imagination créatrice et nos sentiments les plus intérieurs, ceux qui nous font entrer dans l’expérience communicative de cet album, ceux qui nous font dire : « Oui, ce disque-là m’est très personnel ».
Note : 4,5/6
Vraiment un excellent article que j'ai eu plaisir à lire.
RépondreSupprimerMerci. La suite, avec "Atom Heart Mother", arrive...
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