vendredi 13 juillet 2012

CAPTAIN BEEFHEART & HIS MAGIC BAND Trout Mask Replica (1969)

Captain Beefheart - Trout Mask Replica
Euh... expérimental (U.S.A.)


Trout Mask Replica semble aux premiers abords un disque particulièrement énigmatique. De par sa pochette, mais aussi par les 28 titres qui le composent, autant de courtes questions musicales en suspens, autant de petites pièces anticonformistes en liberté. Produit par Frank Zappa, cet album, le classique par excellence de Beefheart, devient le truc anormal et extravagant de l’époque. Et ce pour longtemps.

Le contexte de création est lui-même déroutant. On entend parler d’ascétisme violent, de discipline dominatrice, de surinvestissement personnel des musiciens, reclus dans une baraque proche de L.A.. Le récit de John French (aka Drumbo), batteur essentiel, musicien central dans le Magic Band (la courroie de transmission intelligente entre Don et les autres membres), peut être lu ici et . Les conditions de production sont souvent consubstantielles à l’œuvre, mais peut-être devons-nous en faire partiellement abstraction ici. Ce serait entrer dans un débat d’un autre ordre, qui nous dépasserait sans doute.

A nos oreilles, un joyeux désordre musical… Des parties guitares clinquantes et déglinguées, emmêlées les unes aux autres, des rythmes de batterie déréglés et syncopés, une voix schizophrène qui éructe, s’extasie, part dans des grognements et délires incantatoires, des instruments à vent qui couinent, braillent comme des animaux, ondulent, se faufilent au sein de morceaux cubistes… Tout s’entrechoque, se bouscule. Tout est cacophonie, déstructuration, déconstruction. Défiguration. Bref, un beau foutoir que l’on découvre avec une curiosité amusée, mais non sans effroi, parfois.

Trout Mask Replica est le prolongement des œuvres précédentes, l’extrapolation d’une spontanéité primale mêlée à une forme d’érudition étrange que l’on parvient à démasquer. Les musiciens ont appris à maîtriser leurs instruments et les influences free jazz et delta blues demeurent prégnantes.

Un disque extatique. On cherche à y entrer, mais son exubérance profonde nous révèle tout le mouvement consubstantiel à la musique rock, et qui en sort. L’opus dévoile sa danse, quasi tribale, l’essence même du rock 'n' roll, et il ne s’agit dès lors plus d’y chercher un quelconque mystère à élucider, comme dans une quête infinie. En ce sens Trout Mask Replica est précisément rock, appuyé également par une réelle dynamique "garage" omniprésente dans l'album.

Un disque originel. Qui se replonge dans les fondations jazz et blues, avec tout un héritage d’expérimentations brutes que lui-même est en train ici de préparer pour la suite. Miroir et modèle. En ce sens Trout Mask Replica est à la fois célébration et avant-gardisme.

Les gimmicks, les riffs, les lignes mélodiques… Les différents moments du disque finissent par se dévoiler ensuite, au fil des écoutes. Plusieurs logiques superposées apparaissent, défilent, et finissent par former un tout un peu plus cohérent à nos oreilles.

Il y a aussi un aspect imagé dans cet album, des phrases ou expressions emblématiques ("Fast & bulbous", "mousetrapreplica"…), des personnages acteurs-musiciens dans l’album (‘Drumbo’, ‘The Mascara Snake’…). L’invention d’une nouvelle grammaire de sons, de nouvelles syntaxes musicales mais aussi d’une symbolique. Et des masques.

De tous ces morceaux (souvent) miniatures, de ces collages sculptés, on peut chacun en tirer une poignée de favoris personnels : l’incontrôlable et euphorisant ‘When Big Joan Sets Up’, la furie (l’exutoire ?) de ‘Pena’, le riff tranchant de ‘Moonlight on Vermont’, l’effrayant ‘Dachau Blues’… Il y a aussi ‘Sugar ‘N Spikes’ que j’aime beaucoup, sautillant, avec des parties de guitare bien plus mélodiques qu’à l’accoutumé. Sans oublier ‘Neon Meat Dream of a Octafish’, ‘Sweet, Sweet Bulbs’, l’instrumental free ‘Hair Pie: Bake 1’, le riff de ‘Veteran’s Day Poppy’, déjà post-rock avant l’heure…

Exubérance, exutoire, extase. Trout Mask Replica ressemble à un disque déséquilibré dans tous les sens du terme. Pourtant il parvient à garder le cap, entre concept et spontanéité, entre mystère et évidence, entre appui sur un héritage et ouverture vers de nouveaux horizons. Un disque unique, dément et démentiel, mais vivant avant tout, au carrefour de deux décennies importantes d’expérimentations.

Note : 5,5/6

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