vendredi 27 juillet 2012

FAUST Clear (1971)

Faust - Clear
Krautrock (Allemagne)


Il fait noir. Un piano de cabaret un peu intello égrène quelques notes intimistes. Des voix d’outre-tombe se disloquent. Une fanfare délurée entre en scène… Tout cela mérite bien des explications.

La musique est histoire de frontières. Entre les genres, entre les cultures, entre les bruits et les sons... C’est là que Faust intervient ; soit la musique est toujours vouée à dépasser ses frontières et Faust en est la preuve, soit on observe ce que l’humain peut musicalement réaliser, et Faust devient lui-même une frontière, une limite, un aboutissement, une finalité, un absolu.

Dans une démarche naturellement anti-marketing, Faust dévoile un vide déboussolant, à travers ses pochettes minimalistes (noire pour Faust So Far, une partition vierge pour Faust IV), et une musique sans visages, une forme de désolation musicale… D’ailleurs, l’agressivité des sons, le concept global et la place prise par l’artwork ne laisseront pas insensible tout le mouvement de musique industrielle, notamment à ses débuts.

Clear est donc le premier album de ce groupe symbolique du krautrock. Forme de poésie anarchique, de collage dada et iconoclaste. Dès le départ, les pistes vont être brouillées. On perçoit des bribes (des lambeaux ?) de ‘Satisfaction’ et de ‘All You Need Is Love’… les ténors de l’époque passée seraient-ils renvoyés dos à dos ? Faust devient la troisième voie, celle du progressif au sens le plus basique du terme. Du progressif près de l’os. Brut et nature. Mais électronique aussi.

Le contenu est clair : trois morceaux détraqués pour une intense demi-heure de musique psychique et psychédélique. ‘Why Don’t You Eat Carrots’ est un peu un témoignage de l’effroi. Dans le noir. Avec ce piano, ces voix, et cette fanfare donc. Et ces grognements électroniques. Qui nous plongent dans un autre endroit obscur, proche d’un océan intérieur peut-être et de ses cargos magnétiques. D’une pièce à l’autre, d’une scène à l’autre, nous voilà projetés dans des mondes irréels. Faust fait du Buñuel en musique, à moins que cela soit du Lynch avant l’heure.

Les échos de ‘Meadow Meal’ ne sont pas sans nous rappeler les corridors de Tago Mago de Can, sorti la même année. Des grincements, de l’agitation. Le morceau se met en place de façon plutôt cohérente. Il nous interpelle. Le temps s’arrête. Puis un orage éclate (un autre point commun avec Tago Mago), et une mélodie lointaine et onirique résonne au loin, dans ces paysages noirs et silencieux.

‘Miss Fortune’, d’une bonne quinzaine de minute, est un nouveau testament noir. Il est remarquable de voir comment Faust arrive à absorber l’obscurité dans sa musique. Nous tâtons le pouls de ‘Miss Fortune’, sentons sa pulsation, écoutons ses lentes divagations, ses grincements. Les conventions du rock semblent se mourir. Les modulations de Faust ont raison de tout. Et elles ont raison tout court.

Clear est une nouvelle énigme qui nous frappe par sa violence sombre. Absurde, draguant de près la musique concrète, acide et sonique, droguée et disciplinée, révolutionnaire et intense, à l'image de cette radiographie d’un poing ("Faust" en allemand) en guise de couverture. Clear ressemble à un nouvelle genèse pour la musique. Fondateur, séminal, déroutant et tellement contemporain.

Note : 5/6

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