mardi 17 avril 2012

THE SOFT MACHINE Vol. 1 (1968)

The Soft Machine - Vol. 1
Psychédélisme / Jazz Prog (Angleterre)


Mon rapport avec Soft Machine a dû se faire en deux temps. Assez jeune (16 ans ?), mon regard a croisé les disques du groupe dans une discothèque (l’endroit où on emprunte des albums, pas là où on danse hein…). Il devait s’agir du volume 6, enfin je ne sais plus trop. Je l’avais emprunté je crois, mais je n’ai pas réussi à en maîtriser vraiment le contenu. J’étais en tout cas bien intrigué par la présence de ce machin. L’essentiel pour commencer, paradoxalement.

C’est plutôt durant mes premières années de fac en sciences humaines que j’ai décidé d’approfondir ma connaissance du groupe. Et donc de réellement débuter, mais d’arrache-pied. Les volumes 1, 2 & 5 étaient les passeports dédiés à cette découverte. Et ils furent abordés, eux aussi, dans une discothèque locale. Que de souvenirs… C’était vraiment la symbiose culturelle : des bouquins de philo scientifique et des disques de Soft Machine, entre autres. Voilà pour le quart d’heure disco-autobiographique.

Le premier Soft Machine fut enregistré à NY, entre deux tournées avec The Jimi Hendrix Expérience. Les acteurs en présence étaient Robert Wyatt, multi-instrumentiste mais avant tout chanteur-batteur, fringant et explosif ; Kevin Ayers, guitariste créatif, construisant également les fondations de la machine avec tout le poids de sa basse ; Mike Ratledge, l’érudit, le philosophe, le poète, muni de son orgue ronflant, volubile et endiablé. Alors ça pulse, ça éructe, ça va dans tous les sens, ça euphorise, ça électrise. Un vrai fatras. La machine est en marche.

On peut ajouter quelques remarques sur le line-up pour mieux cerner la galaxie Canterbury à venir. À l’origine, The Soft Machine fut formé en 1966 avec David Aellen, qui créa Gong ultérieurement. C’est un peu un signe du destin, car un problème de visa l’empêcha de retourner en Angleterre avec Soft Machine après un séjour en France ; et c’est à partir de ce moment-là que son projet personnel commença à émerger. De plus, on note les participations de Brian Hopper (guitariste/saxophoniste, écriture de ‘Hope for Happiness’, arrangé par le trio) et surtout de son petit frère Hugh Hopper (roadie, basse) qui écrivit la musique de ‘Why Am I So Short?’, de ‘A Certain Kind’, et joua de la basse sur ‘Box 25/4 Lid’. Par ailleurs, ajoutons que les connexions avec Hendrix sont évidentes puisque Chas Chandler se trouve à la production (en compagnie de Tom Wilson connu entre autre pour son travail avec le Velvet Underground). Cela peut nous permettre de mieux cerner le style du disque.

Alors qu’est-ce qu’il nous dit le premier volume de Soft Machine ? Eh bien pas mal de choses, peut-être en désordre encore, on ne sait pas bien. C’est une grammaire, une nouvelle syntaxe, une étrange sémantique. Ce sont des idées, des illuminations, des directions, des esquisses. L’esthétique progressive reste à faire en 1968, et Soft Machine se repose sur un background conceptuel psychédélique en y ajoutant une dynamique jazz. Soft Machine tente dès lors de fusionner à sa manière le rock et le jazz. Cela est voué à devenir du Canterbury, un genre aussi à construire, pour qu’il ne reste pas uniquement le nom d’une banlieue londonienne. Avec le volume 1, on reste cependant plus proche du psychédélisme floydien que du Canterbury proprement dit.

Le volume 1 est globalement assez court et accessible, même si morcelé en plusieurs petits titres, parfois autour d’une minute. La tâche majeure est de déceler le sens, les relations entre les morceaux, et de déconstruire le tout. Le disque est pourtant marqué par une forme de continuité en filigrane, soutenue par des rappels, des dialogues entre compos... Cette continuité peut se poursuivre en concert, avec un autre déploiement, celui de l’improvisation, plusieurs titres de ce premier volume demeurant un creuset pour ce type d’exercices.

L’album s’ouvre avec une trilogie pouvant être groupée en un seul morceau : ‘Hope for Happiness’ / ‘Joy Of A Toy’ / ‘Hope for Happiness’ (reprise), autour de 9 minutes au total. Très original et personnel, il incorpore tout un tas d’ingrédients typiques : la voix reconnaissable de Wyatt, et sa batterie dynamite qui percute, l’orgue bouillonnant de Ratledge, les échos de guitares d’Ayers soutenues par la basse… Un premier pas dans l’univers de Soft Machine parfaitement accompli !

La deuxième section du disque propose le morceau le plus long, le spontané et pétulant ‘So Boot If At All’, réussite éminente, accompagnée de son introduction ‘Why Am I So Short?’. On reste encore loin de ce qu’ils feront sur le volume 3 bien sûr, mais ‘So Boot If At All’ est attractif à plus d’un titre, pour son rythme groovy, son orgue bourdonnant, ses sections instrumentales euphorisantes, ses larsens, son soli de batterie qui gicle de partout, ses ambiances uniques… un classique ! Il débouche sur un des morceaux les plus mélodiques de l’album, ‘A Certain Kind’, dotée au départ d’une timidité un peu mélancolique.

La troisième section (si l’on veut), davantage modulable, pourrait contenir ‘Save Yourself’ et ‘Lullabye Letter’, entrecoupés par les lignes d’orgue manzarekien et magicien de ‘Priscilla’. À leur suite entre en scène le têtu et bref ‘We Dit It Again’, forme de ‘You really got me’ kinksien, que les instruments semblaient déjà chanter sur ‘So Boot If At All’ (à 2:13), et qui peut durer jusqu’à une quarantaine de minutes en live. L’album se termine sur un hymne final, ‘Why Are We Sleeping?’, plus mélodique que le reste du disque, complétée en amont d’une intro : ‘Plus belle qu’une poubelle’. Il débouche sur le court ‘Box 25/4 Lid’, me donnant envie d’écouter ‘Sweet Leaf’ de Black Sabbath (!), et achevant ce disque vif et tumultueux.

Et l’histoire parla. À l’aube du mouvement progressif, comportant déjà certaines de ses ambitions, le premier volume de Soft Machine développe le psychédélisme sous d’autres horizons hippies, pataphysiques et faussement intellos. Le tout avec cette sensibilité que l’héritage jazz a offert. Du grand art, du pop art, bref du prog art et le début fracassant d’un groupe déchirant la fin des 60’s pour y laisser transparaître sa raison et ses lumières.

Note : 5,5/6

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