vendredi 21 décembre 2012

Frank ZAPPA Joe's Garage (1979)

Frank Zappa - Joe's Garage
Rock / Fusion (U.S.A.)


Joe’s Garage est un album conceptuel… ou devrais-je dire un triple album conceptuel (l’acte I étant d’abord sorti seul, avant d’être complétés par les deux suivants) mettant en scène une histoire rocambolesque sur fond de musique crossover assez alambiquée, technique et ambitieuse (reggae, funk, pop, rock…) Le vernis proto-eighties et la production éclatante sont le décor attrayant pour le déroulement d’une pièce dans laquelle Zappa se Gainsbarre-ise, notamment en narrant ses textes. Malheureusement, les déceptions devant ce disque gargantuesque seront néanmoins multiples, comme je vais tâcher de l’expliquer.

Acte I. L’introduction, agréablement rythmée, nous met directement dans l’ambiance, narrée par le Central Scrutinizer, incarnation totalitaire nous suivant tout le long de l’histoire. Un détail déjà : pourquoi faire si long ? 3 minutes 30… n’est-ce pas un peu poussé pour juste présenter le décor ? Un premier choix qui m’étonne personnellement et j’aurais préféré quelque chose de plus incisif. Le morceau suivant, ‘Joe’s Garage’, est une chanson pop joviale. Très chantante, elle évoque pleinement l’histoire qui se met en place, mais en termes d’écriture pure, cela demeure quand même bien léger… Zappa prend évidemment une certaine liberté, distille son humour si particulier, mais cela n’en fait pas nécessairement une bonne chanson, ici longue, un peu gratuite, et très lassante. Le remuant ‘Catholic Girls’ qui le suit n’est pas terrible non plus, même s’il garde un côté entêtant, notamment sur sa section middle, tout en rupture rythmique. Les voix dans l’ensemble deviennent toutefois assez irritantes. Dès lors déboule le meilleur passage de l’Acte I : la « suite » ‘Crew Slut’ – ‘Fembot in a Wet T-Shirt’ – ‘On The Bus’. Bon, c’est surtout vers le dernier cité que j’avoue ma nette préférence, un bel instrumental rythmé et bien enchaîné. Les deux autres ont une valeur récréative et leur narration se mêle assez bien à la musique qui l’encadre. Pour poursuivre sur cet acte I je ne dresserai point de lauriers à ‘Why Does It Hurt When I Pee?’, étonnamment quelconque, même si j’apprécie évidemment la transition avec le morceau précédent. Quant au reggae romantique de ‘Lucille Has Messed My Mind Up’, on saluera l’idée de toujours aller chercher un autre genre musical pour le fusionner au concept général, mais la composition demeure tout au plus sympathique et légère, relativement entêtante et mélancolique, avec une prise de risque encore assez minime. Enfin, l’Acte I s’achève sur les mots du désormais incontournable Central Scrrrutinizer…

Acte II. C’est à mon sens dans ce deuxième moment que l’ensemble va vraiment chavirer dans le mauvais sens. ‘A Token Of My Extreme’ touche déjà au supplice, cette litanie qui n’en finit plus... Dès lors ‘Stick It Out’ survient, parvenant à être très entraînant, mais son côté limite ringard ne sera supportable que pour ceux qui accédent plus aisément au "trip" imposé par l’album. En fait la chanson contient une dynamique humoristique musicalement, alors pourquoi ajouter un texte aussi stupide ? Pour ‘Sy Borg’, l’interprétation vocale est de qualité et s’installe dans cette ambiance quasi lounge plutôt réussie, bien qu’assez convenue au final. Mais là encore, pourquoi est-ce si long ? La voix du robot est proprement insupportable et là, pour le coup, on est bien content que l’objet finisse à la casse à la fin... Ensuite, si ‘Dong Work For Yuda’ demeure un des titres les plus mièvres de l’album, celui qui lui succède est en revanche une vraie bombe rythmique : ‘Keep It Greasey’, une des réussites majeures. Déjà pour les accompagnements décalés de Vinnie Colaiueta, pour cette assise funky, lisse, décapante. Pour sa déchirure de larsen… Du grand art vraiment bien maîtrisé. Précisons que les textes sont toujours aussi idiots et gratuits, malheureusement. Enfin, à l’instar des ambiances déboussolantes d’‘Outside Now’ qui entrent en piste, l’Acte II arrive à redresser la tête hors de l’eau, bien tard il est vrai.

Acte III. Quatre longs morceaux pour compléter l’ensemble (8-12 minutes chacun), toujours accompagnés par la présence du très imposant Central Scrrrrrutinizer. Déjà, un premier titre assez complexe pour débuter : ‘He Used To Cut The Grass’. J’aime bien sa section onirique pour s’évader, et dans laquelle est citée la fameuse phrase : "Information is not knowledge. Knowledge is not wisdom. Wisdom is not truth. Truth is not beauty. Beauty is not love. Love is not music. Music is THE BEST…". ‘Packard Goose’ qui le suit est visiblement un classique mais il ne m’impressionne aucunement, et je le trouve assez long et inutile. J’apprécie plus ‘Watermelon in Easter Hay’, solo de guitare mélancolique qui résonne assez bien en moi. Le dernier morceau obtient les mêmes critiques que l’ouverture de l’acte I : une bonne fin décalée pour terminer le concept mais vraiment longuette… Existe-t-il des gens qui l’écoute régulièrement et d’une traite ? Ouch...

Globalement, parmi les points positifs, malheureusement mineurs, je retiens :
.La production, lisse, intelligente, mettant bien en avant les sonorités des instruments. Très agréable dès la première écoute, je n’ai pas grand-chose à y redire…
.La technique des musiciens, même si elle demeure stérile, n’étant pas au service d’une « grande » musique. Je note une grosse prestation rythmique en tout cas.
.L’idée de marier les genres musicaux, et leurs sons propres, indépendamment de la réussite de l’interprétation de chacun.
.Quelques morceaux que j’aime bien : ‘On the Bus’, ‘Keep It Greasey’, ‘Watermelon in Easter Hay’.

Parmi les points négatifs, je pense directement :
.Au concept assez stupide. Vulgaire, scabreux, salasse (en plus d’être manichéen et de la profondeur d’une flaque). Je n’ai pas l’humour de Zappa ici, ça ne me touche pas du tout, et je trouve presque mensonger de croire que cela tient du génie. C’est dommage que l’humour ne soit pas au niveau de sa musique, qui me parle déjà bien davantage... Les mauvais pressentiments d’Apostrophe se sont vérifiés, ont enflés. De plus le texte engendre, chez de nombreux titres du triple disque, un certain malaise qui empêche d’apprécier la musicalité à sa juste valeur, et donc de façon donc totalement contre-productive (certes, les plus fanatiques se remémoreront sans problèmes l’agencement, voire le « rythme vocal », de certaine répliques). Céder à la stupidité est une facilité. Serait-ce justement un éloge de la bêtise ? On ne peut pas tout accepter, tout pardonner aveuglément à Zappa parce que c’est Zappa.
.A la majorité des morceaux, parfois même inacceptables. Une multitude de genres juxtaposés donnant au tout un côté imposant et qui suscite le respect ou au moins la curiosité. Ce qui me touche ce sont les arrangements de ‘Regyptian Strut’, les collages de ‘Peaches En Regalia’, la montée vertigineuse de ‘Echidna’s Arf (Of You)’, mais pas les sornettes abêtissantes de Joe’s Garage. J’intellectualise peut-être trop la musique de Zappa mais c’est comme ça que je l’aime et, de toute façon, je ne trouve pas que ces trois actes soient maîtrisés en termes d’humour et de fraîcheur.

En conclusion, Joe’s Garage est un disque décevant, d’autant plus qu’il propose de nombreuses qualités dans l’approche du son et de certains styles musicaux. Il se présente évidemment comme un témoignage d’une musique réalisée en toute « liberté », mais il reste raté à mon sens gâché par son concept inepte et par ses morceaux faibles, bien trop nombreux.

Note : 2/6

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