Jazz Rock numérique (U.S.A.)
Froid, mécanique, synthétique, tel est le jazz venu de l’enfer. On l’aurait imaginé brûlant et frénétique… Jazz From Hell apparaît urbain, contemporain, proche d’une musique de jeu vidéo déboussolé et un peu buggé, lorgnant (presque) vers les horizons sans vie de la musique industrielle. En fait on ne sait pas trop où l’on est, ce qui donne une certaine force au disque. Zappa, seul et armé de son synclavier, ourdit des pièces semblant appartenir à une époque et à un espace inconnus. L’ouverture, ‘Night School’, reste le meilleur passeport pour visiter ces contrées déshumanisées. Parfaitement structuré, nous entraînant dans sa logique interne, ce morceau reste la réussite majeure de l’album. J’aime bien aussi ‘Damp Ankles’, dans son rôle de « musique pour paysages modernes dévastés ». Bien que toujours très travaillés, les autres titres passent plus pour artificiels, plantant un décor hostile, sans être désagréables. On ne saurait oublier que les artistes les plus expérimentaux/progressifs au sens large ont besoin d’un album plus froid et clinique. Paradoxal ici pour du jazz, de se sentir gelé et mis au service des machines, avec des notes ressemblant davantage à des numéros... Dans une veine différente, The ConstruKction of Light de Crimson posait une problématique analogue : un groupe expérimental, influencé par le jazz, offrant un disque mécanique, impassible et refroidi. La démarche est louable, à moins qu’elle ne soit intérieurement nécessaire. C’est vrai que l’on entre peut-être aussi dans l’intimité psychique de Zappa ici, avec ces corridors alambiqués et ces paysages électroniques. Un monde étrange en tout cas, et dans lequel on est bien content de voir apparaître des humains, sur ‘St. Etienne’, un solo live de ‘Drowning Witch’ en 1982, ruinant pourtant l’homogénéité du tout, à moins qu’il n’aère un disque tournant autour de ses propres paradoxes et contradictions. Le concept n’entraîne pas forcément une impasse en termes d’écriture et c’est pour cela que le résultat aurait peut-être dû ou pu être tout autre, avec des morceaux plus agréables. L’ensemble demeure une curiosité, un exutoire intrigant, auquel on ne peut adhérer totalement.
Note : 3,5/6
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