mardi 10 avril 2012

Timothy LEARY & ASH RA TEMPEL Seven Up (1972)

Ash Ra Tempel - Seven Up
Kosmische Musik (Allemagne)


Vous reprendrez bien un peu de Seven Up ? Affublé d’un très bel artwork coloré, rétro-futuriste et hallucinogène, ce troisième album d’Ash Ra Tempel, pétillant et acide, est le siège de trois oppositions, paradoxes, contradictions.

Premièrement, opposition d’états d’esprits, de bandes de garçons et de filles un peu délurés, réunis au sein d’un collectif d’une douzaine de personnes. D’un côté les artistes psychédéliques, de l’autre les psychologues musiciens. Ces derniers sont emmenés par Timothy Leary, le doc’, défenseur du LSD et des illuminations psycho-psychédéliques (qui lui valurent un séjour en prison), au contact des milieux hippies et des activistes de l’acide. Sous la menace des Black Panthers, il avait dû s’enfuir d’Alger avec son nouveau pote, le poète anglais Brian Barritt, accompagnés de leurs douces et tendres. Quelle fut leur nouvelle destination ? La Suisse, « le seul pays suffisamment décalé pour ne pas les jeter dehors », dixit Julian Cope. Et je ne résiste pas à vous relater ces mots de Cope, sur leur rencontre avec Sergius Golowin :

« En Suisse, les fugitifs étaient reçus comme une famille. Il y a là-bas un mystique sur chaque montagne – la plupart n’en descendent jamais. Un ancien soldat désabusé du nom de Sergius Golowin accueillit les deux couples dans sa retraite montagnarde. Golowin était à la fois poète, mystique et chef gitan déchu. Les siens étaient venus d’Europe de l’Est et s’étaient répandus à l’Ouest, mais il leur adressait encore de grands discours lors de rassemblements épisodiques dans les Alpes suisses. Sa poésie était lue par tous les enfants suisses » 
(Krautrocksampler, Kargo et l’éclat pour la traduction française, pp. 83-84).

L’autre équipe est évidemment constituée du groupe Ash Ra Tempel. Mais elle est surtout chapeautée par Rolf-Ulrich Kaiser, célèbre producteur de musique qui avait emmené le groupe en Suisse. Dans un milieu qu’il maîtrise, il semblait en quête d’une illumination ultime, épaulé par le maître du son, Dieter Dierks. Ainsi, Seven Up est la rencontre de deux horizons parallèles, et de deux têtes pensantes, fédératrices d’artistes dévoués à la cause cosmique : le Doc et le Kaiser. L’un s’improvisait chanteur brailleur, l’autre gourou psyché.

Deuxièmement, paradoxe historique. En fait, Seven Up contient d’une certaine manière, et peut-être encore une fois au niveau de l’état d’esprit, un aspect punk et donc sa propre mort. Enfin, pour la mort je ne sais pas. On avait déjà vu le parallèle entre la scène de Détroit, punk et proto-punk, et le premier album du groupe. Ici, on se trouve toujours au cœur de cet équilibre précaire, entre deux mouvements totalement contraires mais qui semblent se rejoindre, telle une fusion bouillonnante. Dans ce Seven Up aux allures Warholiennes par son titre, les oppositions ne sont plus stériles, elles communiquent, comme au temps de la Factory.

Troisièmement, contradiction musicale, comme souvent, entre une plage plus rock et un morceau plus ambient. L’ensemble est plus chaotique et dépravé que d’habitude et sent la poudre blanche comme jamais. Seven Up garde ainsi toute sa saveur, même si ce ne sont pas les meilleurs titres du groupe. Conceptuellement, les noms des deux grandes plages musicales (‘Time’, ‘Space’) suivent l’équation spatio-temporelle de Leary et de Barritt. En effet, autour de trips extatiques et d’excès de LSD, ils avaient fomenté à Alger le concept du Temp-ESP-ace... Enfin, autre originalité : les différentes subdivisions des deux morceaux, empruntées à des sessions live (aux studios Sinus de la Münstergasse, à Berne), symbolisent semble-t-il les sept niveaux de la conscience humaine.

Le style du premier morceau, ‘Space’, est indissociable du style du groupe (fusion rock/ambient dans un creuset cosmique psyché) et de son histoire (la participation de Leary). Certes des subdivisions permettent d’y voir plus clair dans ‘Space’, et parmi ces différents morceaux composant la première plage, ces blues rock déjantés, cabossés et maltraités (un shoot façon White Light/White Heat ?) remplis de reverb effervescente, de carambolages de guitares assourdissantes et de cacophonie vocale, on retiendra surtout l’énergie électrique de ‘Power Drive’, entre rugissement et vrombissement. La succession des différentes étapes de ‘Space’ est étrange (tout comme le mélange d’un blues urbain baignant dans un psychédélisme cosmique) et donne un côté un peu fouillis et déstabilisant au départ, tout en restant assez original. Le disque provient bien de musiciens chargés au LSD et qu’on aurait essorés.

Le second morceau, ‘Time’, vers lequel va ma préférence, est plus mystique, moins agité. Et complètement méditatif, comme nouvelle initiation aux portes de l’infini. Loin d’être le calme après la tempête, il en serait le prolongement sous une autre forme, entre incantations et recueillement. On note que la dernière subdivision du titre, ‘She’, est le miroir de ‘Liebe’ du précédent opus. Julian Cope le note : « ‘Time’ est un classique allumé de kosmische Musik, qui utilise les accords de la chanson éponyme ‘Schwingungen’ parce que Manuel Göttsching et Harmut Enke étaient persuadés d’avoir trouvé sur ce morceau le son du Paradis » (p. 89).

Sérieux, comment les mecs devaient planer à l'époque… Tous ces neurones qui ont dû griller... En chaîne, comme de petits fusibles. Au tournant des années 70’s, tous les systèmes nerveux étaient off. Et c’est de cette source d’inspiration qu’émergea Seven Up un authentique testament d’époque, fun et psyché.

Note : 4,5/6

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