SUPPLÉMENT : Rock (U.S.A.)
Ainsi, Bruce Springsteen ferait du « mainstream intelligent » : il arrive à écrire des classiques sans suivre la mode et parvient à toucher le coeur des gens avec une musique personnelle et authentique. La subtilité de ses chansons participent au bonheur d’une grande famille de fans, voire au soulèvement de tout un peuple : ses concerts marathoniens galvanisent les spectateurs en transcendant des compositions fédératrices. Le Boss devient le souffle qui anime la communauté. Les chansons de Springsteen sont vivantes, touchantes ; il s’agit de petites explosions vitales pleines d’humanité, mais, attention, pas de cette « humanité » hypocrite et aveuglante dont beaucoup se réclament trop souvent. La musique de Bruce est subjective mais universelle, locale mais à l'image de nombreuses sociétés.
The River a une valeur hautement symbolique ; ce disque révèle la sueur du travailleur, le bouillonnement de son sang, l'odeur du sable, de la cendre et du goudron, le craquement des planchers californiens, l'éclat de l'or fin ou de la limaille de fer… Pour les plus voyageurs, il évoquera les atmosphères des paysages imaginatifs que l'on peut rencontrer à tout hasard, chez Steinbeck, Cendrars ou Buzzati. Mais finalement, ne s'agirait-il donc pas des paysages dévastés des villes industrielles, ou plus exactement du New Jersey ? Effectivement… Parallèlement à cela, Bruce a réussi le pari de transcender des textes a priori banals, par leurs thématiques, en leur apportant émotion et vitalité, les transformant dès lors en authentiques témoignages. Des témoignages qui créent une réelle proximité entre les chansons de Bruce et ceux qui les écoutent. Springsteen arrive ainsi à réinventer la « communication » dans la musique. Mais également la communication entre les musiciens eux-mêmes : The River reste le produit d'un groupe cohérent et fidèle. Le Boss s'entoure en effet du polyvalent et indispensable pianiste Roy Bittan, du guitariste complice "Little Steven" Van Zandt, de l'impassible bassiste Gary Tallent, de "Mighty Max" Weinberg, batteur à la force de frappe métronomique, de l'instinctif claviériste Danny Federici, et bien sûr du populaire saxophoniste Clarence Clemons. Influencés par les Byrds et les Stones, par le songwriting de Van Morrison, de Bob Seger et de Bob Dylan, les membres du groupe livrent des chansons solides, de véritables complexes énergétiques unifiés, des perles de cohésion. L'éclectisme est au service de compositions exubérantes, brutes et électriques, a priori arides mais fertiles au fil des écoutes. Le son est lourd, et se rapproche parfois d'une forme de heavy rock n' roll assez optimiste. Parmi les nombreuses pépites en or fin que contient The River notons ‘The Ties That Bind’, hommage aux Byrds muni d'une section middle dévastatrice ; ‘Ramrod’, véritable rouleau compresseur de rock n' roll euphorisant et lourdingue ; le désertique et poignant ‘Stolen Car’ ... Et que dire du dépouillé ‘Independance Day’ évoquant la déchirure père-fils ? Des musclés et humoristiques ‘Sherry Darling’ & ‘I’m a Rocker’ ? Des pêchus et irrésitibles ‘Out in the Street’, ‘Two Hearts’ et ‘You Can Look’ (et ses backing vocals) ? ... Le Boss a au final plus d'un tour dans son sac. Avec la finesse de grain de ses chansons, il arrive à point nommé vainqueur dans la ruée vers l'or. Mais si la rogne des guitares turbulentes est présente, le double-album contient deux ballades humides et déboussolantes : ‘Point Blank’ & la mythique ‘The River’. Cette dernière évoque le contraste entre les passions et les responsabilités adultes, et les déceptions auxquelles mènent de nombreux rêves. Et puis il y a cette comptine crépusculaire et étoilée, ‘Drive all Night’, témoignage d'honneur au ‘Madame George’ de Van Morrison, un des nombreux tournants de ce disque. Cette longue chanson typique d’un road-movie nocturne, aux leitmotivs hypnotiques, se profile comme une des cinq plus belles chansons du Boss. La dure journée du working class hero bat retraite pour laisser place, dans une veillée brumeuse, à l'amour. À la magie du soir. D’ailleurs, la thématique de la voiture est également bien représentée dans ce disque : ‘Cadillac Ranch’, ‘Stolen Car’, ‘Wreck on the Highway’… Ce n’est pas étonnant, finalement ; le Boss parcourt les routes sinueuses et rocailleuses de destinations multiples, chemins le menant tout droit à son meilleur opus, et à une forme d’aboutissement au croisement des décennies.
Note : 6/6
(Chronique réalisée autour du 2 novembre 2003, corrigée en août 2010)
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